dimanche 29 juillet 2007

Albert Badin




Mon père, Albert Badin, était issu d’une famille paysanne et ouvrière.


Né le 6 octobre 1921, il était le deuxième d'une famille de 4 enfants. Albert a toujours été très proche de son frère Pierre, aîné de seulement un an, c'était presque deux frère jumeaux.
Ils étaient toujours partants, tous les deux pour faire des blagues et inséparables dans leurs loisirs et le sport .

Dans la famille, pour des raisons financières, seul Pierre a fait des études, et c'est en partie Albert qui , par son travail d'aide livreur de charbon, en 1937, à l'âge de 16 ans, a financer les études d'instituteur de son aîné. Mais je n'ai jamais entendu mon père, plus tard, se plaindre de cette différence de traitement.


Du même village, mes parents se sont toujours connu, mais ils s'aimèrent dés l'adolescence.
Mes parents célébrèrent leur fiançailles en janvier 1942 et se marièrent, en pleine guerre, le 6 mars 1943. Elise avait 19 ans et Albert 22 ans.
Pour les anneaux et la bague, Albert donna au bijoutier son beau bracelet en or.

Pour éviter de partir au service du travail obligatoire, en Allemagne, Pierre et Albert, préférèrent travailler dans les mines de charbons au village de la Mure, au dessus de Grenoble. Le jeune couple partit, en train et s'installa dans un petit village à la Motte d'availlan. Le travail au fond de la mine fut très dur pour Albert qui était souvent malade, malgré la gentillesse des vieux ouvriers qui avaient compassion pour ce jeune garçon. Albert échappa de justesse a une rafle des Allemands, car il y avait beaucoup d'accrochage dans les maquis du Vercor, juste à coté. Mais le jour de la libération de Grenoble, Pierre, son frère bien aimé, fut fusillé par les soldats ennemis, le 22/08/1944. Il avait seulement 24 ans !

En l'espace de quelques années, les évènements se précipitèrent pour le jeune couple. Elise fut gravement malade, d'une pleurésie, alors qu'elle était enceinte, au contact de son beau père tuberculeux et fit également une dépression nerveuse.

En 1945, c'est la naissance de premier enfant ; Roland, le 10 juillet 1945.

En 1946, c'est au tours d'Albert de tomber malade, plus ou moins de tuberculose et alla faire un séjour dans un sanatorium en Montagne.

En 1947, c'est le décès de son père, des suites également de la tuberculose.

Après la guerre, le jeune couple alla vivre quelques temps à l'Hotel restaurant avec Rosanne, la mère d'Elise, à Nivolas Vermelle, puis avec le retour de Raymond, le frère de ma mère, qui avait hérité du commerce. Raymond était parti à Nice, pour monter une autre affaire, mais sans succes, mes parents durent quitter l'hôtel et lui laissèrent la place.

En principe Raymond, voulait vendre l'hôtel de Nivolas afin d'acheter un commerce sur NICE, mais il fallait l'accord de ma mère à l'époque, qui refusa. On peut dire, avec le recul, que Raymond doit une fière chandelle à sa soeur, car sinon, avec l'échec de son commerce à Nice, il aurait tout perdu !

Albert, après avoir tenté de monter, lui aussi, une affaire de fabrication de palette en bois avec son beau frère Clément, mais sans succès, chercha un emploi d'ouvrier.

il avait 31 ans à ma naissance, en 1952, et commençait à sortir de son poste d’ouvrier pour rentrer dans les bureaux de l’usine Voisin & Pascal, à La Combe des Eparres. Homme intelligent, avec simplement le certificat d’étude en poche, il a progressé vers un poste de responsable administratif et financier, puis d’adjoint à la direction.
Cette promotion ne lui avait pas enlevé sa simplicité, car j’ai toujours connu mon père se déplacer en motocyclette de tous temps, pour se rendre à son travail, comme l’ensemble des ouvriers de l’usine. Parfois, un collègue en vélo, s’accrochait à son épaule pour avancer plus rapidement.


A coté de son travail et de ses collègues qu’il adorait, Albert avait une passion pour la chasse et le jardinage. Dès la sortie du travail, il allait, aux beaux jours à son jardin, et, à l’automne, à la chasse avec son beau frère René. Il avait une grand amitié pour René et allait souvent à sa ferme pour discuter. René a probablement remplacer, comme confident, son frère Pierre.
Son goût pour ces activités témoignait d’un caractère calme et assez solitaire mais toutefois très avenant avec les habitants du village.
Albert avait un caractère doux et posé, mais assez jovial et aimait bien à l'occasion mimer les tics et les expressions des uns et des autres. Il était simple et adorait les activités proche de la nature, outre la chasseet et le jardinage ; la cueillette des champignon, la pêche.




Les fêtes de famille

Dans les années 50 et 60, Les fêtes de famille suivaient deux calendriers, celui de la nature et celui de la liturgie.
A cette époque, à la ferme de Marthe et René, les fêtes de famille suivaient le rythme des saisons et récompensaient l’entraide de tous pour les diverses récoltes. C’étaient les vendanges, l’enterrement du cochon, les moissons, la récolte des pommes de terre. A la fin des année 50, j’ai vu disparaître des pratiques paysannes ancestrales comme le labourage des sols avec la herse tirée par un cheval, les râteaux en bois pour les foins, le geste auguste du semeur, et bien d’autres pratiques très anciennes qui disparurent au début des années soixante, devant les progrès rapides de la mécanisation de l’agriculture.
Le calendrier liturgique avec les fêtes de Pâques et surtout de Noël étaient des grands moments dans la vie familiale. Il y avait une atmosphère particulière de recueillement et de joie partagés à l’occasion des étapes clés de l’année et de la vie, autour des choses simples, mais pourtant sacralisées de la vie.
L’eucharistie en est l’exemple le plus frappant : en effet la chrétienté fonde son culte autour du partage du pain et du vin, « fruit de la terre, de la vigne et du travail des hommes ».
La liturgie donnait à certains moments clés de l’année et également de la vie, comme la naissance, l’adolescence, le mariage, le décès, une dimension sacrée et solennelle que la vie séculière et profane ne peut révéler.

Les vacances en famille

A cette époque, les vacances en famille étaient plus rares, mon père n’aimait pas partir de son village, et au bout de quelques jours il s’ennuyait. Il ne semblait pas comprendre cet engouement pour le dépaysement, car lui, il adorait son pays, son terroir, son métier, et il trouvait tout cela assez artificiel. Je ne sus jamais si cette attitude de mon père témoignait d’une sagesse ou d’un égoïsme, je pense un peu des deux, car il avait de grandes passions : la chasse, le jardinage, et la cueillette des champignons, et il recherchait dès que possible, en sortant du travail, la tranquillité, loin des tracas de la vie de famille.
De mémoire, mes parents ne connurent que deux séjours de vacances dans leur vie de couple : d’abord, en confiant leurs enfants à Marthe, ils partirent seuls, dans le midi de le France, chez Jeanne, la sœur de ma mère, dans sa maison des Sablettes, près de Toulon. C’était dans les années 50.
De ce séjour, j’ai dans mes archives, des photos de vacances où ils semblent si heureux que cela me réchauffe le cœur. Ma mère a gardé sur sa commode de sa chambre, jusqu'à la mort de mon père, une photo de ce moment privilégié.
Plus tard, début des années 60, nous partîmes une unique fois en vacances, une dizaine de jours, dans le sud-ouest de la France, car mon père connaissait un ancien directeur de l’usine, Monsieur Mercier, avec qui il avait lié amitié. Cet ancien directeur était très reconnaissant à mon père d’avoir mobilisé les ouvriers de l’usine lors de son licenciement. Ce n’est pas banal en effet qu’un directeur soit défendu par ses employés, qui étaient allé l’accompagner, lors de son entretien de licenciement, devant la direction du siège à Lyon.
Ces vacances, quel événement pour la famille !
De bon matin, nous quittâmes le village encore endormi, destination Lourdes, puis Toulouse, en faisant un crochet vers Perpignan par la fameuse nationale 7 !
Enfant, tout nous semble tellement plus beau, le nez collé au vitre de la 203, je regardais défiler les paysages. Un jour que mon père s’aventura à faire du 100 km heure, ma mère s’exclama : « mais enfin Albert, tu es fou ! »
De ces vacances, d’une semaine environ, je garde essentiellement des souvenirs de visites de monuments, point de baignades et de petits copains, mais nous étions tous contents !.
Mais les véritables moments de détente, pour la famille étaient le jour du Seigneur !



En 1968, la France connut son psychodrame !
La vie économique s’arrêta, il y avait une atmosphère irréelle, plus personne ne semblait maîtriser la situation. Mon père, sympathisant Gaulliste, s’inquiétait de tous ces désordres, transmis par les journaux et la télévision, et tandis que des cousins, militants de gauche, participaient aux manifestations contre le gouvernement, un frère d’Eddy, mon beau frère, membre de la Compagnie Républicaine de Sécurité ( CRS ) réprimait les contestataires !
Moi, je restais spectateur et dubitatif...
Sur le plan des idées politiques, mon père était plutôt anticommuniste, il admirait beaucoup le Général de Gaulle, et catholique plutôt traditionaliste, sans être intégriste, il refusait les idées athées et révolutionnaires du Parti Communiste.
Pourtant fils d’ouvrier et de petit exploitant agricole, son poste de chef du personnel ne le coupait pas de la sympathie du monde ouvrier.
Il n’était pas militant et se méfiait des partis politiques, mais avait fait quelques tentatives pour se présenter aux élections municipales de Nivolas Vermelle, sans succès, contre le maire communiste de l’époque monsieur Pellet.
J’ai des souvenirs de réunions assez passionnées, fin des années 50, de mon père avec ses colistiers, pour préparer les élections municipales.
Mon père ne comprenait pas la présence de son frère Gérard sur la liste du Parti Communiste, en qualité de premier adjoint, il la jugeait incompatible avec sa foi chrétienne.
A l’époque les débats politiques étaient assez houleux et les adversaires faisaient preuves souvent d’intolérance, le parti communiste était très puissant.
Il était de bon ton, pour un intellectuel de se dire de gauche, et les idées de droite en France paraissaient ringardes, cela énervait beaucoup mon père.
Sur le plan de sa foi catholique, je crois qu’il n’adhérait pas trop à la réforme de l’église, issue du concile de Vatican II avec le pape Paul VI et Jean XXIII.
Il pratiquait avec fidélité sa foi d’enfance transmise par sa mère et ne comprenait pas trop toute cette remise en cause.

Le décès de mon père

Dans la famille un drame se préparait, sans que j’en aie trop suivi le déroulement.
Mon père était malade depuis un an environ et ma mère, avec le souci de me préserver, ne m’avait pas informé de la nature exacte de cette maladie.
A 18 ans, je ne voyais pas que mon père dépérissait à coté de moi !
Un matin de mars 1971, ma mère qui avait passé la nuit près d’Albert, revint de la clinique, avec mon cousin Jacky Rabatel, tôt le matin pour me réveiller.
- « Jacques, sois fort, il faut aller voir papa à la clinique, il va nous quitter »
- « Va chercher le curé pour l’extrême-onction et descend avec lui »
Lorsque j’arrivai dans la chambre de mon père, la famille était là, autour d’Albert qui priait, cela me parut quelque peu irréel, j’étais si peu préparé à cette éventualité.
Je me penchai sur le visage de mon cher père qui me dit « Adieu petit ».
Il demanda à mon beau frère Eddy : « je glisse, peux-tu me remonter ? » puis il expira dans ses bras !
C’est trop bête, cher papa, je t’ai laissé partir sans te dire que je t’aimais !

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